Clermont les bouffons

Publié le par gromulo

 

 

Pas facile d’expliquer ce qu’on a trouvé de lamentable dans cette histoire de « coupe de France du rock Clermont-Bordeaux » ; je dis bien : pas seulement « ridicule », mais bien « lamentable ». C’était pas facile parce que d’abord, tout ça était juste tellement sympa, tellement innocent, tellement drôle que c’était faire de l’anti-coopé primaire que d’en dire du mal. Eh bien d’accord, en effet, en principe, pourquoi pas ? Mais en vrai : pour plein de raisons. D’abord ce n’est pas innocent. Ensuite, ce n’est pas très drôle.


(1)   Un régionalisme pue-des-pieds


Au début, bien sûr, on s'est énervé de voir qu'encore une fois, la seule idée que pouvait avoir la coopé était dans la lancée du régionalisme pue-des-pieds des précédentes. L’affaire de  l'hymne à l'asm était un signe que c'était bien là le raisonnement : faire feu de tout bois pour « un bénéfice concret d'image » de la région Auvergne. Voyons, qu’est-ce que ça veut dire ? La région et l’agglomération sont lancées depuis quelques années dans une difficile entreprise, qui consiste à gérer les effets dévastateurs de la désindustrialisation. L’agriculture a, au siècle dernier, opéré une mue productiviste peut-être nécessaire mais qui a pas mal vidé les campagnes de leur population, et c’est au tour aujourd’hui de l’industrie (des usines michelin, pour aller vite), de changer sa façon d’être présente par ici. La production se fait de plus en plus dans d’autres pays, tandis qu’ici on garde les cadres. Forcément, ça fait moins de monde. Et donc, consciente de cet enjeu, l’agglomération tente de faire face en jouant sur l’image (et la réalité) de la ville, et s’efforce par exemple de faire venir les étudiants, puis de les faire s’installer et rester ici (on construit des grosses boîtes de nuit pour qu’ils se picolent des bons souvenirs, voire, sans doute, qu’ils trouvent un conjoint, on les accueille, et j’imagine qu’on fait gaffe à la qualité de l’enseignement). C’est aussi dans cette perspective qu’on peut comprendre l’effort de doter la ville d’une salle de concert de haut niveau, la Coopé. Je n’ai rien à dire contre l’outil, d’ailleurs, il est tellement bien fait qu’il tourne tout seul, quelque soit l’équipe qui s’en occupe mais ce n’est pas l’objet de cet article.

Faire venir des gens ici, les y garder. C’est une question de survie économique et je soutiens les efforts qui sont faits, mieux, j’approuve les options choisies (recherche, université, culture). Bon, au cas où on me demanderait mon avis, bien sûr…


Par contre, je n’aime pas trop que cela serve à donner un blanc-seing aux cheffaillons qui s’occupent de mettre en œuvre les éléments de cette politique. Pour ce qui est des gars de la Coopé, donc, on leur a mis entre les mains un outil superbe, mais j’ai comme l’impression qu’ils croient que finalement, c’est à eux ; un outil qui a fait le ménage autour de lui, autour de qui tout est organisé, et qui tourne donc tout seul, mais qui tournerait encore mieux si les gens qui s’en occupent bossaient un peu sérieusement et en faisaient réellement quelque chose. Au lieu de passer les plats du show biz. Bref.


Voilà donc, pour ce qui, à mon avis, est le contexte actuel, et qui fait que la coopé et ses dirigeants ont vraiment la partie facile. Et maintenant j’en reviens à cette affaire de « bénéfice concret d’image ». L’Auvergne et Clermont-Ferrand n’ont pas une image très dynamique, alors on essaie de changer ça. Les milieux sportifs vous diront les efforts qui sont faits pour mettre en avant la réussite de l’asm, sur qui on mise d’énormes moyens même si c’est au détriment des autres sports ou des autres clubs. Mais là, c’est pas mon affaire. Sauf qu’un même raisonnement est à l’oeuvre pour faire de la musique un outil du même genre. Encore une fois, pourquoi pas, puisque c’est vrai qu’ici, on joue beaucoup de musique. Mais il y a un biais. Qui se voit bien quand on passe de « clermont ville rock » à « clermont ville plus rock que la voisine ». Dans le premier cas, on soutient le dynamisme des acteurs, et on s’assure qu’effectivement, il y ait de la musique le plus et le mieux possible. Dans le second, on instrumentalise la musique pour faire la pub d’autre chose, en l’occurrence de la ville elle-même, ou de la région. Dans un cas, on compte que ça va finir par se savoir, que la réputation de la ville va effectivement grandir, dans le second, on force les choses et du coup, tout sonne faux. 


Peut-être que vous vous souvenez qu’il y a quelques années, pourtant, on se battait avec les autres pays au nom de « l’exception culturelle ». On disait : la culture n’est pas une marchandise, la façon de la produire compte plus que la circulation marchande des produits. Au nom de cette idée, on disait : on protège les producteurs, on les laisse faire ce qu’ils jugent bon, on ne leur met pas sur le dos des préoccupations qui n’ont rien à voir, comme par exemple de faire du pognon. Aujourd’hui, cette idée est oubliée. Chez nos voisins italiens, ça se voit bien : on a nommé le directeur de McDo-Italie responsable d’un projet qui consiste à faire circuler (à louer) les œuvres du patrimoine pour rapporter du fric au pays. C’est l’essentiel de la politique culturelle de berlusconi, qui ne se préoccupe plus de faire qu’il y ait un cinéma italien, ou bien de la musique italienne, une qualité de la production actuelle, etc. Toutes proportions gardées, on fait la même chose ici : on fait porter tous les efforts sur le développement et la valorisation des productions (des groupes), pas sur la production. On ne soutient pas les artistes pour qu’ils puissent s’exprimer et travailler comme ils veulent, on leur indique les modèles à suivre qui seront facile à valoriser : devenez pros, en un mot.


Le biais dont je parlais, il est là : cette politique est appliquée par des bourrins. On leur dit : faites votre travail de soutien au développement culturel de l’Auvergne, et gardez en tête que ça rejoint un intérêt général qui est de dynamiser la région. Nous avons intérêt au développement culturel, alors allez-y, soyez bon, on ne vous chippotera pasles moyens, on trouvera tout ce que vous faites super. Et eux, ils ressortent de la réunion et ils disent : notre travail est de contribuer à la bonne image de la région. Ah la la : non, votre boulot c’est de faire du développement culturel et objectivement, ça servira le développement général ! Mais trop tard, ils sont passés en mode régionaliste. Ils ne s’occupent plus de faire le travail de fond pour qu’il y ait de la culture en auvergne, il font de la politique et de la com’. Avant même d’avoir produit quelque chose, ils cherchent à le vendre.

Vive l’Auvergne, qu’ils disent. Ici, c’est un territoire qui a de l’identité. Rien de moins territorialisé, pourtant, que la musique : les espaces de référence y sont moins physiques que symboliques : les scènes sont plutôt des "fluides" ou des "circulations" que des espaces statiques. On s’inspire moins du voisin que de tel disque américain des années cinquante, c’est évident.


(2) musiciens et institutions : qui sert le développement de qui?


Comment dire ? La vision en termes de territoire, c'est bon pour les institutions territoriales, qui font valoir leur action "locale" auprès de leurs financeurs locaux, mais pas pour les musiciens ou les auditeurs, qui se réfèrent plutôt à des styles, des labels (des éditeurs), des proximités et des affinités avec d'autres musiciens ailleurs dans l'espace et dans le temps. Le problème ici en ce moment est que les institutions culturelles ont une telle puissance sur les esprits que ce qui les préoccupe (qu'il y ait de l'activité dans leurs locaux) finit par influencer la vision des publics, qui croient que les groupes d'ici ont plus en commun entre eux qu'avec les groupes d'ailleurs de la même catégorie. Dans d'autres contextes, ça ressemble un peu à : les travailleurs français ont plus en commun avec leurs patrons français qu'avec les travailleurs des autres pays...


Honnêtement, malgré tout l’humour (j’y reviendrai) qui a été mis dans cette bouffonerie « clermont vs bordeaux »,  il y a cette promotion régionaliste, cet effort un peu pathétique de paraître sexy. « Décalé », bien sûr, à la « Auvergnat Cola », mais tout de même. L’année dernière, on avait invité les Naasts en disant : « on va leur montrer aux parigots », cette année c’est Bordeaux (on se demande bien pourquoi, d’ailleurs) et dans les deux cas, il y a un espèce de complexe d’infériorité complètement incompréhensible et déplacé, qui dit « nous les auvergnats ». Je ne ressens pas ce complexe, je le trouve compètement hors de propos. Et d’ailleurs ni les « parigots » ni les bordelais ne font de complexe de supériorité vis-à-vis des auvergnats. Ce sont des fantasmes. Et d’ailleurs, pour ma part, j’ajoute que je ne peux pas dire que je soutienne ma scène locale, sauf pour ce qui est d'aller boire des coups avec des gens et m'assurer qu'il ya des concerts de temps en temps dans le coin. Mais pas pour dire qu’ici c’est mieux qu’ailleurs.


Ce que je veux dire c’est donc ça : par manque de réflexion ou de recul sur ce qu’il s’agit de faire, les institutions culturelles du coin confondent leurs propres intérêts avec ceux de tous, ils nous font endosser leurs propres enjeux. Au lieu d’aimer le foot, on soutient l’équipe de France. Quant aux amateurs de rugby, jusqu’à la coupe du monde, ils aimaient un sport où on ne sifflait pas l’adversaire et où on appréciait le beau jeu, et maintenant ils enragent de devoir être « fiers d’être auvergnats ». Et puis c’est le tour de la musique : les magnetix aux abattoirs, c’était de l’électricité sauvage, et maintenant on nous dit qu’ils sont bordelais ! Nan, je crois pas, pour moi c’est un groupe de chez Crypt Rds.


En plus, dans le reportage de « Volume » dont on a beaucoup parlé, même nos « parrains » Cocoon se moquaient de cette illusion régionaliste et disaient en substance : nous ne sommes pas un produit régional, nous sommes partis pour Paris, entrés dans les réseaux qui ont été capables de faire de nous un produit (plus) universel !


Alors ce Clermont-Bordeaux, finalement, ça avait plus à voir avec de l'économie qu'avec de la musique. On peut voir ça comme la suite de la campagne d'affichage que l'Auvergne avait menée dans le métro parisien, et qui avait incité deux ou trois hurluberlus à se décider à tout lâcher de leur vie à babylone pour venir retrouver les vraies valeurs derrière le comptoir d’un point multiservices dans le Cantal. Eh bien si après ça des musiciens d’ailleurs décident de venir s'installer à Clermont, j'irai les attendre à la gare, je promets!


(3) Comment faire les comptes?


Et donc il s'agit de voir combien d'emplois sont ainsi créés, combien de gens décident finalement de rester ici après avoir fini leurs études, tout ça, et non pas de savoir ce qu'on en pense sur un plan musical. Sauf si on considère que c'est quand même à des musiciens qu'on demande de faire ce boulot. Cocoon vend des voitures, les autres vendent carrément leur ville. Voyons voir si ça leur rapportera autant ! Ou si monsieur veillaut parvient à se faire nommer consultant partout pour devenir enfin un grand notable... ça serait déjà pas mal.

Mais plus probablement, en ces temps de bavardages, personne ne se posera la question du bilan de tout cela, les musiciens sont embarqués dans l'illusion que pour eux ça va marcher comme pour cocoon, donc ne pas se poser de questions collectivement, s'en sortir eux tout seuls, et c'est vrai que personne ne les aide à voir les choses autrement ni à se rendre compte que ça ne peut pas marcher! ça serait pourtant bien le boulot des ex-associations qui forment aujourd'hui le pool transfo, par exemple, ou bien des assos diverses et variées, je ne parle pas des syndicats évidemment, qui, depuis l'affaire des intermittents,  se sont repliés sur leurs intérêts de sous-classe, donnent à fond dans la défense poujadiste des intérêts professionnels et font donc la chasse à leurs concurrents amateurs. Non, personne ne passe la tête au-desus du muret, et donc tout le monde se frotte les mains de cette belle réussite : l'Auvergne à Paris. Les musiciens sont ridicules, tout le monde se fiche d'eux, mais ils espèrent peut-être qu'on arrêtera de ricaner quand ils seront plein de pognon; tout le monde continue à penser que l'Auvergne est un trou du cul; et ceux qui me traitent de pisse-froid parce que "bah, c'était bien marrant", je ne sais pas trop quoi leur dire, mais j'espère qu'ils ne sont pas en position d'avoir à limiter l'emprise de la société du spectacle, de la médiocrité dans laquelle on maintient le niveau de culture de nos concitoyens, ou dans d'autres positions politiques, d'éducation ou de culture. Ce serait un coupable manque de rigueur de leur part, à mon avis... Mais la rigueur, quand on parle de choses si sympa que d'aller d'aller amuser le parisien-qui-ne-part-pas-en-vacances...  C'est tellement sympa, la musique, tout le monde aime ça, pas vrai ? Niveau : « la musique adoucit les mœurs ».


Reste l’ironie dans tout cela. Ça pourrait tout sauver ! Ces petits clips sans prétention ! Le second degré, quoi. De l’humour ! Ouais, de l’humour potache, à la limite. Plutôt benny hill que monthy python’s. Je dois confesser une erreur de jugement : sur un de ces clips, le numéro deux, je crois, on montre un tramway bordelais aux couleurs de l’arc-en-ciel. Pour moi, l’arc-en-ciel, c’est le drapeau de la cause gay. Alors comme ça se finissait par un « no comment » facile, j’y ai lu le message suivant : « bordelais = PD ». On me dit que c’est pas ça, que justement c’est là l’ironie, au contraire, à Bordeaux ya des couleurs. Je comprends toujours pas le rapport avec le rock (je n’ose pas croire que c’est, en fait, un truc à la « noir c’est noir », ça serait tellement con). Mais mon sang n’a fait qu’un tour : dans ce milieu où on n’arrête pas de se traiter d’enculés, de tapettes, de PD justement, de gonzesses ou autres, que la Coopé, qui est une institution culturelle produise ce discours, ça m’a fait vraiment honte. Je me suis trompé, sans doute, donc, je ne sais pas. Mais j’attendais encore une fois un travail culturel intéressant (j’ai pas dit chiant), je n’ai vu que des bêtises de salle de classe… Alors un petit coup d’« on est des rockeurs, on n’est pas des PD », je trouvais ça plausible. Cette série de films, et le petit panier avec de la gentiane (genre rock = produit local… Arrêtez !!!!), ça rime à quoi ? Moi j’ai vu ce message : le rock, on n’y croit pas, on ne s’en occupe pas sérieusement en fait, on s’en tape, ça ou autre chose, c’est tout pareil. Ça me choque, pour moi c’est des trucs importants, si ça ne vous intéresse pas, faites autre chose. Un copain d’evry (près de Paris) qui venait précisément de quitter babylone pour s’installer dans les combrailles m’a dit un jour : « à paris, quand tu as une idée, il faut se battre parce que tu peux être sûr que plein d’autres gens l’ont eue aussi ; dans le coin, quand tu as une idée, il faut se battre parce que les gens s’en tapent ». A la Coopé, c’est des gens dynamiques : quand tu as une idée, ils sont tout content, ils te la prennent… mais ils ne se demandent pas si elle est bonne. Allez, encore un petit effort, les gars !


PS : faut pas croire que je suis mauvais public, parce que la campagne web de la région pour faire que des parisiens aient envie de s’installer par ici m’a bien fait rigoler. Je ne suis pas sûr qu’elle soit très efficace ou que personne y croit vraiment, je suis même sûr du contraire, mais au moins c’est drôle ! Elle est là :  

http://www.lesurbanophiles.com/

http://www.lesurbanophiles.com/2007/

Toute la démarche ici :

http://www.journaldunet.com/ebusiness/crm-marketing/analyse/070919-auvergne-campagne-urbanophiles/1.shtml

 

 

Et le clip anti bordeaux dont je parlais, il est là :

http://www.youtube.com/watch?v=sjjzRDYDGa8

 

 

 

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C
<br /> bon puisque ça vous a plus, on continu :<br /> <br /> http://auvergne-indymedia.org/rions-un-peu-avec-le-s-decideur-s.html<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Dans la même veine, sur ces questions de marketing décalé, on lira le commentaire du<br /> <br /> 27 octobre 13:44, par La grenouille qui ne voulait pas faire le boeuf<br /> <br /> sur<br /> <br /> http://www.cyberbougnat.net/Decouvrez-le-premier-episode-de-l,3282.html<br /> <br /> Bon courage pour réarmer le machin !<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Merci, je suis preneur de sources de ce genre, ça servira un de ces jours peut-être. En plus, je n'avais pas suivi cette autre dispute sur l'auwwwergne, dispute de basse intensité, manifestement.<br /> Mais c'est intéressant.<br /> <br /> <br />
D
Blogs are so informative where we get lots of information on any topic. Nice job keep it up!!
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T
J'avoue que le clip anti Bordeaux 2 est pas terrible. Celui là m'a bien fait rire par contre : http://www.youtube.com/watch?v=em111l1gy6I&feature=related
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E
si un jour Veillaut m'invite à une de ses finales, et bien j'irai. En effet, Quelle meilleure occasion pour appeler à la révolution à quelques encablures de l'Elysée? ça c'est un truc que Dylan aurait pas loupé!
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