Etre dans la course

Publié le par gromulo


galipoteJe viens de lire deux articles dans la galipote du mois de janvier, qui m’évoquent à nouveau un drôle de penchant chez les élites locales. Il s’agit de ce Grand Débat sur la ligne à grande vitesse Lyon-Paris : est-ce qu’on va encore nous chier dans la bouche, là-haut à Paris, ou bien nous laisser participer à la Grande Compétition Mondiale ?
Je ne m’intéressais pas tellement à cette question, bien qu’on ait manifestement sollicité mon avis mais bon, vous savez ce que c’est, je suis sûr que ya plein de gens vachement à bloc qui ont participé à ces grand raouts citoyens à ma place et puis, c’est peut-être ces longues années de post-modernisme libéral, mais je ne crois plus aux délibérations citoyennes : c’est ceux qui ont le pouvoir au début qui décident à la fin, et puis voilà, donc je ne vois pas pourquoi j’irai leur faire perdre leur temps en discutaillant sur des trucs « de spécialistes ». J’ai tort, mais tant pis.
Ce n’est pas ce dont je voulais parler.

 

La galipote cause à la fois de cette « LGV » et du grand projet d’agglomération qui irait de Brioude à Vichy. Les gens interviewés disent : 85% de la circulation par transports collectifs (par le train essentiellement, donc) se fait sur des trajets courts et correspondant effectivement à cet « espace urbain ». Les gens von659px-Alsace Lorrainet travailler à Vichy ou à Montluçon, un peu comme les parisiens vont à Orléans. Ou l’inverse. Et ils prennent le tramway à mort. Et donc il semble y avoir pas mal de convergences objectives (plan de développement + pratiques actuelles) conduisant à investir gros pour améliorer la circulation et l’intégration du « territoire ». Mais on nous rabat les oreilles avec la liaison avec Paris.

Et la perte de l’arrivée en Gare de Lyon a des allures d’Alsace-Lorraine, des fois.

 

 

Voilà un premier point : pourquoi investir une telle énergie dans cette lutte ?
Voilà mon idée : c’est comme l’asm, la coopé et la politique de com’ de la Région : il y a une fascination de nos dirigeant locaux pour les trucs « prestige ». Ils ont dans l’idée qu’il faut être dans la course, que le salut viendra d’un développement par le haut en se raccrochant à des trucs « top » : compétition, technologies, service, matière grise, tourisme haut de gamme, patrimoine de l’humanité, « être dans la boucle »…

 

Je ne dis pas que c’est complètement con d’avoir une liaison moderne avec les deux plus grandes villes du pays, ni d’avoir une équipe qui gagne de temps en temps et qui suscite l’enthousiasme des foules, ni de poursuivre une politique de com’ qui puisse faire que des gens puissent n’être plus complètement ignorants de l’Auvergne, où on a besoin d’eux. Même, je ne suis pas contre les dépenses de prestige pour elles-mêmes : les pyramides d’Egypte, les palais du Louvre, les grands chœurs d’opéra, les coupes du monde, les limousines, tout ça, manifestation à chaque fois d’une certaine forme d’excellence, ça me plaît. Je ne suis pas d’accord avec le discours faussement populiste : au lieu de faire la pyramide du louvre, on ferait mieux de construire des logements sociaux. Ben non, ça n’a strictement rien à voir. Et on peut faire les deux.
Non, ce qui me dérange, c’est quand on suscite (et qu’on obtient) un élan « populaire » pour des causes qui me paraissent mal discutées, voire largement étrangères aux préoccupations des gens. Que les élus se battent pour avoir une bonne ligne avec Paris, ok. Mais signer une pétition, c'est-à-dire faire masse, ça veut dire quoi, puisque la masse des voyageurs est, comme on dit, en « circuits courts » ? Quand on signe ça, qu’est-ce qu’on dit ? « demain, on va tous voyager super vite dans toute l’Europe » ? Ou bien plutôt « nous, peuple auvergnat, euh…voilà, quoi, on existe ! ».

De ce que j’ai pu lire sur l’affirmation identitaire , bon, il s’avère qu’il faut toujours qu’intervienne un travail de « construction symbolique », c'est-à-dire qu’il faut que quelqu’un affirme que telle entité existe, et construise l’unité symboliquement, pour que ça finisse par arriver. Ça ne se fait pas tout seul. Donc si on pense que les « territoires », comme on dit, que l’Auvergne en l’occurrence, a besoin de se constituer une identité – comme les nations l’ont fait aux alentours de la guerre de 14, ce qui est considéré à la fois comme une étape historique nécessaire au développement des Etats, et comme la cause principale de ces massacres hallucinants, mais passons – eh bien il faut que quelqu’un l’affirme. Au début, il ment forcément, et puis il finit par être rejoint et par avoir raison. Genre : la scène musicale auvergnate a fait bien rigoler il y a quelques années, je vous parie que dans trois ou quatre ans, si ce n’est déjà fait, ça sera admis comme une évidence, sans d'ailleurs qu'il soit besoin que ça soit devenu plus vrai. Donc voilà comment ça se fait. Mais alors il faut ajouter deux choses : est-ce qu’on pense que c’est vraiment utile de se constituer en « peuple auvergnat » ? Sachant que le modèle inverse est plutôt que nous sommes tous citoyens de la république, je ne dis même pas français. Bref. Et deuxième question : qu’est-ce qu’on va abandonner, perdre ou négliger pour faire ce mouvement ? Par exemple, on va avoir une bonne liaison avec les lignes européennes, mais toujours un tramway bondé et des embouteillages rue anatole France… Ou bien des stars « big in japan » et plein d’amateurs de musique se disant « p’ain mais en fait ya rien à clermont » parce qu’ils vont continuer à penser qu’effectivement, c’est le showbiz ou rien…

 

Une autre chose, suite à une discussion avec une copine qui sort d’un master patrimoine et développement touristique (genre). Deux classes de huit étudiants. Deux ans après, elle est la seule de sa promo à avoir du boulot, dans une association qui fait circuler du jeune sur la planète. Je souligne : dans une région qui joue, soit-disant, la carte de la bonne image pour attirer de nouveaux habitants, on forme 16 étudiants par an à un niveau élevé de compétence pour valoriser de l’image, et on ne les emploie pas. Elle dit aussi qu’on pousse à construire du tourisme de luxe (on aide des projets haut de gamme) alors que la réalité aujourd’hui est plutôt au tourisme familial. Tiens, tant qu’on y est : on me dit que la boutique du musée Roger Quilliot ferme : les visiteurs qui aiment acheter le bouquin de l’expo qu’ils viennent de voir iront sans doute donner leur argent à monsieur amazon. Ce qui me paraît à la fois manifester que, alors qu’on le voudrait tant, dit-on, on ne sait tout simplement pas faire du commerce, - même un commerce très sain : proposer aux gens des trucs dont ils pourraient avoir envie - mais pire, ça me paraît tout à fait cohérent avec l’esprit du coin : ici, on fait triste figure, on ne dépense pas d’argent, c’est mal, on admet faire la fête si c’est utile ou par devoir… je ne sais pas qualifier l’état d’esprit dont on trouve des marques partout ici…quelque chose qui a à voir avec la dépense, de son argent, de soi, la dépense en pure perte, la gratuité, l’excès… Bon, je ne sais pas.

 

Il y a un gros mensonge ici : l’Auvergne veut paraître cool, mais elle ne l’est pas. Elle voudrait pouvoir se dire que si elle ne peut pas entrer dans la cour des grands, c’est parce que quelqu’un l’en empêche, elle voudrait bien qu’il y ait un complot : de paris, de la technocratie, de… ça dépend un peu des questions. Mais en vrai, il n’y a rien qu’elle, qui ne sait pas faire du commerce. Elle ne sait pas ce qu’elle veut. Elle n’existe pas en vrai, du moins pas comme ses dirigeants voudraient le croire, peut-être parce qu’eux-mêmes sont des battants. salon-ou-l-on-cause.jpg

 

J’ai assisté l’année dernière à de grandes conférences régionales au zénith d’auvergne ; j’ai donc entendu moi-même ce discours comme quoi ce qui compte, c’est d’être dans la course. C’est ce qui fascine nos « élites » locales. Eh bien après tout ce que j’ai dit en vrac, il ne s’agit pas de conclure que « c’est nos élus qui devraient prendre un peu moins le train pour Paris », ou bien « d’t’façon c’est de la jet set, ils préfèrent évidemment trinquer en salon VIP au stade que de serrer les mains sales des chauffeurs d’bus » ou bien  « c’est parce que ya pas d’alternance que les élites perdent de plus en plus contact avec ‘l’terrain » ou même «  ce qu’il faut comprendre de ce discours de changement, c’est que l’Auvergne telle qu’elle est en vrai, ils la méprisent et la trouvent nulle ».

 

Non non non, hein, déconnons pas. Ce qu’il faut conclure, c’est peut-être qu’on n’est pas obligés de donner nous aussi dans ce genre de fascination. De participer à la curée médiatique, de coller des stickers partout sur nos bagnoles, de mettre des écussons de l’asm sur nos profils facebook, de gâcher des repas de famille pour savoir s’il vaut mieux une gare à st germain des fossés ou ailleurs, d’aller jouer à la Coopé gratos parce qu’on peut peut-être comme ça se mettre dans la roue de… tiens, c’est qui cette année, le poulain ? Prenons un autre exemple : les élections présidentielles. On ne peut pas dire que ce n’est pas important, ça doit quand même permettre de dégager une affreuse bande de brigands racistes. Mais comment dire… Faudrait pas que ça prenne tout le temps de cerveau disponible parce que certaines tendances de fond continuent par delà les élections, je pense que tout le monde le sait.
Et en général, je trouve que cette option « l’auvergne doit être dans la course » rappelle comment certains pays dits « en retard de développement » ont pu croire qu’une économie branchée sur le commerce mondial était la solution, et comment ça n’a pas donné de très bon résultats.

 

Et donc c’est quoi le rapport avec ce blog ? Eh bien voilà, c’est pour dire que ce genre de phénomène ne doit pas nous polluer entièrement la tête, au point de nous faire oublier toutes les autres choses importantes qui se jouent aussi sur ces questions. Pour ma part, tout en restant curieux de ce qui occupe mon prochain, je ne me sens pas du tout auvergnat, je ne mets pas les pieds au stade ni ne m’intéresse à aucune compétition, je prends le tramway tous les jours, me trouve bloqué dans les embouteillages tous les jours aussi, je vais à Paris ou à Lyon sassez souvent, et même je prends l’avion mais je ne m’inquiète pas de savoir si je pourrais être content que ça cesse d’être un voyage pour devenir un simple trajet et bien sûr je fais de la musique mais sans que ça soit pour avoir du succès ni pour en vivre, ni représenter, ni même avec l’idée d’en faire plus ou dans de meilleures conditions. Et je trouve que je dépense pas mal d’énergie à me rappeler à l’ordre pour pousser ma pierre, et pas celle des autres par inadvertance. 
Impossible à boucler, ce texte, pff,


 



 

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G
ah en effet on en parle. Alors on fera comme les italiens, mais ça serait bien quand même qu'on n'en arrive pas là, j'ai pas tellement envie d'aller me suspendre dans des arbres ni de me prendre<br /> des coups de matraque.<br /> Je lis rarement la galipote, mais là, cet article sur le quartier de la gare m'intéressait... et du coup, le reste aussi.
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V
ah ben je savais pas que tu lisais La Galipote! Moi, je m'inquiète aussi pour la forêt de Tronçais. Il parait qu'un des parcours possibles du TGV devrait la traverser.
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G
ah! l'Italie...
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M
http://quadruppani.blogspot.com/2012/01/rafle-contre-les-no-tav-litalie.html
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