Culture et lien social en milieu rural

Publié le par gromulo

Le texte qui suit est un compte-rendu des discussions qui se sont tenues dans le cadre des Rencontres Agrirurales de Cosne d’Allier en 2008. Il s’agissait de la réunion de plein d’acteurs de la culture installés «  en région » (c'est-à-dire : pas à Clermont-Ferrand), impliqués dans diverses formes artistiques (arts plastiques, théâtre, danse, musique un peu aussi bien sûr), organisateurs d’expositions, de festivals, de cafés-culturels…

La discussion était bien confuse. On oscillait entre plein de problèmes à traiter : comment financer les actions ? Qu’est-ce qu’il s’agit de faire ? Travailler ensemble pour être plus fort, ça paraît sympa, mais si ça veut dire que je dois aimer ce que tu fais, je suis moins partant…, etc.

Comme cela apparaît dans la forme, le texte n’est pas écrit pour lepetitblousonnoir. C’est un texte de travail et qui a dû en plus respecter des contraintes de taille, ce qui le rend encore plus ramassé et multiplie les sous entendus obscurs.

Mais je le publie quand même ici. Parce qu’il a été l’occasion de dire quelque chose qui me paraît important : faire de bons produits artistiques (« des bonnes chansons »), c’est la base, certes. Mais une action culturelle (par exemple : un concert) c’est surtout un agencement social beaucoup plus large et donc, en un mot,  jouer dans tel contexte ou dans tel autre, ce n’est pas indifférent.  Et puis le pendant de ceci : ça pourrait toujours être autrement. 

 

Les discussions entre les acteurs locaux sur le thème de la culture en milieu rural se font généralement dans un certaine confusion. On y dresse surtout le douloureux constat que leurs actions culturelles ne sont pas reconnues par les acteurs du secteur. Et on en cherche le motif. Doivent-ils, individuellement, se remettre en cause et questionner la qualité de leur travail, la pertinence de leur goût, la richesse de leur inspiration ? Doivent-ils admettre que leurs propositions ne relèvent ni de l’Art, ni du grand spectacle, ni du patrimoine et que c’est donc en toute logique qu’elles se retrouvent financées plutôt sur les budgets de l’éducation, de l’insertion, de l’accueil ou de l’animation ?

C’est bien là en effet le constat central : la grande part de la vie culturelle rurale n’est pas financée à ce titre. Et la question est la suivante : est-ce la pertinence de ces actions qui est en cause ou bien celle des acceptions officielles de la culture ?

 

Une culture « sous développée » ?

Peu pressés de s’affronter à la seconde hypothèse, les acteurs cherchent d’abord à remédier à quelques faiblesses. C’est ainsi que, acceptant de plus ou moins bon gré de considérer que l’objectif est de « passer professionnel » une grande part de l’action associative consiste à aider les artistes à « grandir » afin, selon les cas, d’atteindre une reconnaissance qui dépasse les frontières du territoire, ou un niveau élevé de capacités techniques, ou tout autre attribut qui, de retour au pays, permette d’interpeller et de rassurer les financeurs. Pour leur propre gouverne, les acteurs locaux tentent de faire baisser leurs coûts par la mutualisation des moyens et ainsi dépendre moins des subsides publics.

Ce sont là des façons d’accéder au jeu du marché de la culture. Mais les résultats sont souvent bien maigres, et les acteurs amers vis-à-vis du manque de reconnaissance qu’ils obtiennent pour prix de leurs efforts et de la négligence avec laquelle on considère les preuves qu’ils fournissent de la rentabilité (politique et économique) de leurs actions. C’est ainsi qu’ils continuent à louvoyer entre diverses lignes de financement, et que, hésitant à revendiquer un titre qui leur est officiellement refusé, ils se présentent souvent eux-mêmes à la population sous couvert de « lien social ». Pragmatiquement, c’est habile. Mais cela maintient ces activités culturelles dans l’ombre projetée des acceptions officielles de la culture, et à l’écart des sous et du prestige qui vont avec.

 

Tout le pouvoir aux médiateurs ?

Quelle est donc la cause fondamentale qui fait que l’on tient de toutes parts le milieu rural pour une zone culturellement sous développée ? Si l’on compare la situation à celle de l’industrie de la culture en général, la réponse sera : la production y est plus difficile. Il ne s’agit pas des créateurs, qui sont normalement nombreux et inspirés, ni des publics, pas moins demandeurs ni éduqués, mais de la faiblesse des producteurs et des diffuseurs. Or dans la filière culturelle telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, comme d’ailleurs dans nombre d’autres secteurs, ce sont eux qui choisissent les « produits », les fabriquent éventuellement, les calibrent en tout cas de façon à satisfaire la demande – demande qui peut être elle-même calibrée d’autant plus facilement qu’on détient le monopole de l’offre.

Or en milieu rural, et hors saisons, l’initiative culturelle appartient encore à l’artistique. Les entrepreneurs sont eux-mêmes très souvent des passionnés, voire des créateurs, et il ne leur est pas évident d’adopter la posture transparente du médiateur ; les collectivités locales, à qui il est finalement demandé de jouer ce rôle d’intermédiaire (via leurs services techniques, ou bien leur soutien financier) n’ont pas inscrit la compétence culturelle dans leurs attributions. Ce n’est pas non plus la demande qui pourrait tirer la structuration d’une filière, puisque la population n’est pas moins diverse qu’ailleurs et donc intensément contradictoire dans ses besoins. Toute entreprise culturelle est donc, à proprement parler, aventureuse. En l’absence de dispositifs dédiés, éprouvés, d’interlocuteurs identifiés, il faut à chaque fois tout réinventer, convaincre chacun qu’il a un rôle à jouer, et parfois même le lui apprendre.

Qu’est-ce que l’excellence culturelle ?

En ville, cette question est réglée depuis longtemps : les lieux sont clairement identifiés, disposés de façon pratique et convenue dans l’espace urbain, et ils associent ces vertus étrangères les unes aux autres que sont la solennité, la fonctionnalité et la convivialité. Les choses sont bien agencées, physiquement autant que symboliquement. Elles sont chacune à leur place : ici on contemple, ici on vibre, ici on s’amuse… ici on circule ! Les cultures alternatives qui cherchent à détourner les usages ou à se saisir des interstices restés sauvages sont aisément domestiquées.

Mais en milieu rural, c’est plutôt la dispersion qui règne, et chaque projet culturel doit réassocier toutes ces dimensions sans compter sur une tradition disloquée ni sur la routine. Chaque projet doit reposer la question de l’accès à la culture, l’accès d’abord physique. Ce manque d’évidence du monde est peut-être la spécificité de la culture rurale d’aujourd’hui. Peut-être ne s’y voit-elle pas tant dans les produits artistiques que dans les façons de participer. Et peut-être, si on veut bien regarder, y voit-on plus clairement qu’ailleurs que la question culturelle n’est pas celle de la qualité des productions, mais celle de la vivacité de la lutte pour donner le sens du monde et de l’existence.

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