La dispute avec la Coopé

Publié le par gromulo



Voici le texte qui vous permettra de comprendre ce qui s'est passé le 28 septembre 2007 à la Coopé, pourquoi on n'y a plus jamais mis lespieds, pourquoi un an plus tard on a joué sous le nom de "thee didier veillaults" et tout et tout. Je l'ai écrit dans la foulée de cette soirée à la con, et je le signe parce que ça n'engage pas forcément mes petits copains du groupe... 
 
Mais comment se retrouver dehors, avec d'autres gens, sans les parents, avec la possibilité de jouer un autre rôle que celui  de la petite fille sage, sortir de sa chambre, quitter la table, arrêter de s'entendre dire qu'on verra bien quand on sera grand? Il reste les concerts, un bon alibi pour sortir pour pas cher, se retrouver dans la pénombre ou bien le flou de la foule, dans la fumée, un peu excité par l'alcool et la nicotine, là on peut discuter, draguer, regarder comment les autres font, observer d'autres modèles, se raconter d'autres histoires. C'est là qu'on apprend à prendre position, à se dire libre, d'abord sexuellement et aussi vis-à-vis des injonctions sanitaires qui obligent à entretenir un corps propre, sain, fade, là qu'on peut se bricoler des opinions, abandonner l'uniforme scolaire ou professionnel pour s'habiller comme on veut, avoir l'air qu'on veut. Bref, c'est là, dans ces bistrots, dans ce bruit, dans ces effluves qu'on trouve un espace pour échapper au contrôle social. Sinon quoi? sinon, les livres, ou bien rien.

Je ne suis pas une petite fille, mais j'ai profité de tout ça, et j'en vois, à nos concerts, qui en ont encore bien l'utilité.

 

 

Mais qu'avons nous ici? L'essentiel des endroits qui pourraient jouer ce rôle se rangent inéxorablement sous le signe de l'argent et de la sécurité, comme partout ailleurs : calcule tes sous, montre patte blanche à l'entrée, pose ton blouson super classe au vestiaire, danse sur la même musique produite au kilomètre que celle que tu as entendue à la télé ou au supermarché. Les bistrots où de vrais gens jouent, il n'y en a presque plus. C'est normal, c'est peu vanté et peu encouragé, c'est aussi combattu parce que supposé dangereux : on y fume, on y boit, on s'y bat, on s'y casse les oreilles, éventuellement on y baise dans les chiottes. Quand on en sort, on sent mauvais, et on se rappelle avec horreur qu'on a raconté plein de conneries. Maintenant donc, des boîtes, ou bien des grandes salles faites exprès. A quoi ressemble une soirée là-bas? Bon, eh biens prenons, complètement au hasard, la Coopé.

 

D'abord, il faut s'organiser pour y aller, si on se décide au dernier moment, c'est possible, mais c'est plus cher. Ensuite, on se fait tripoter par des gorilles. Corrects, mais gorilles. Ce sont eux qui accueillent. Ensuite, on se trouve dans une grande salle carrée, pas de recoins, pas de rebords où s'appuyer, même pas une colonne, comme à la Maison du peuple ou à l'Escapade, pas de plafond, pas de volumes, juste un grand vide au milieu duquel on se serre pour garder sa contenance. On ne fume pas, bien sûr. On boit du bas de gamme, de la pisse de chat, chère, par pure convention, personne n'a fait l'effort de penser à ce qui se joue sur cette question de la bière, c'est trop vulgaire sans doute, dans cette maison de l'art, alors que tout le monde boit, d'abord, et que pour finir, c'est de là aussi que vient l'argent. C'est la chose la plus importante de tout l'évènement, ça n'a rien de vulgaire, ça n'a rien d'un accessoire, ça rythme les conversations, ça rythme la soirée toute entière, et c'est bon et c'est agréable. Rien qui mérite le mépris dans lequel cet aspect de la soirée est tenue, l'abreuvoir honteux qui est organisé, la suspiscion manifestée par l'organisateur aux musiciens, qu'on imagine toujours préoccupés de piller le bar dans un réflexe de reprise, comme disent les anarchistes.

 

Pas de gens soûls, pas de tabac, pas de recoins, pas de bagarres, rien, tu te mets là, tu écoutes, et quand c'est fini, tu rentres chez toi. Il est déjà prévu d'empêcher toutes tes autres tentatives. Ah et puis tu admires l'artiste, bien sûr! Celui-là, où est-il? Quel est son rôle dans ce grand cirque de gens affairés, dans cette grande équipe de spécialistes, qui aux entrées, qui à la programmation, qui aux lumières, au son, au ramassage de câbles, à la cantine, au bar?

 

Le musicien sort de sa chambre, il descend dans sa cave où il rejoint ses amis, ils donnent une forme, ensemble, plus ou moins aisément, à leur propos : je m'ennuie, je suis très énervé, j'ai envie de baiser,à boire!, laissez moi sortir d'ici, je me déteste, ah les cheveux noirs de cette fille, salaud de patron, ce matin je fais mes bagages, et tout et tout. Et le voilà dans la salle, à six pieds au-dessus du reste des gens à qui il est sensé parler, qui sont de l'autre côté de la barrière, qui ne sont plus ses amis, qui sont le public, dans l'ombre, avec tout plein de gens qui s'occupent de se mettre en travers de son chemin, ce n'est plus lui qui branche ses outils les uns aux autres, ce n'est plus lui qui sent que c'est le moment d'y aller. Et pourtant, il ne joue pas de la musique, il ne récite pas des poèmes, il joue du bruit électrique avec ses amis et pour ses amis. Tout ça a disparu : il n'entend pas le bruit qu'il fait pour les autres, qui n'est pas le même que celui qui sort de sa machine derrière lui, mais est celui qui sort des machines de la grande salle professionnelle, ses amis sont coupés de lui, un peu  loin, beaucoup de l'autre côté des barrières, quel sens reste à ce qu'il a préparé dans sa cave? Il récite par coeur en priant très fort pour que ça ressemble à quelque chose quand même, pour que ça reste compréhensible, pour que les gens ne voient pas trop à quel point il est une marionnette, ligotée de partout par les fils du théâtre. Ah bien sûr, quand il aura fait ça trois ou quatre fois, il réussira à intégrer tous ces éléments supplémentaires, il tiendra la scène et on aura l'impression qu'on est dans sa chambre, bon, mais au prix de quelques moments emmerdants, en attendant. Nan, en vrai, ça ne sera même plus la même chanson, on parie?

 

Et pourtant, tout le monde n'a d'yeux que pour cet endroit, par un phénomène tout simple tout bête sans doute, parce qu'il est plus gros que les autres. Il est la frontière avec le bizness, aussi, il a du fric et surtout, il a le pouvoir de transformer le local band en star nationale. Ouaip, mec, on raconte que quand tu rentres dedans, tu changes de niveau, tu changes de catégorie, tu deviens l'égal des groupes qui ont joué après toi sur la scène, les américains qui étaient dans la grande loge, à côté, bon c'est con, tu n'as pas pu leur parler, justement, enfin c'est de ta faute si t'es pas plus opportuniste et que t'as pas eu d'autographe. Un point focal, on appelle ça. Un peu comme la cathédrale, c'est magique, c'est au milieu, ça te transcende. Ou bien c'est comme la promesse de baiser un jour et que ça change tout. Mais quoi? Rien de plus, en réalité, que de faire croire un peu, parce que quel groupe a appris son métier là-bas? Qui y a réussi? Plus modeste encore : qui en a profité? Ah on peut se moquer des star ac', qui font miroiter des carrières à des nuls, mais que fait la Coopé? Elle tient le même discours : je suis une étape indispensable, mec,après moi, tu seras pro. Alors tout le monde veut y croire, et voilà. Bien sûr, c'est pas le but, le but est juste de diffuser les spectacles, mais le discours est celui de la réussite, possible, désirable. Et pourtant, hein, tout le monde sait ce qu'il faut pour réussir, c'est incroyable que ce jeu continue! Il faut croire que l'illusion est en elle-même agréable, et c'est tout, hors de question de revenir à la réalité. C'est surtout ce discours-là qui est lamentable : c'est juste une salle plus grande et avec des techniciens plus compétents, mais les gens qui s'en occupent, et même ceux qui voudraient y jouer, sont persuadés que c'est mieux parce que c'est plus gros.

 

Les dirigeants de la Coopé se plaisent à dire en réunion que c'est justement la raison pour laquelle il s'abstiennent de payer les jeunes groupes, parce que ceux-ci s'estiment déjà tellement heureux de jouer dans cet équipement magnifique qu'il n'est pas nécessaire de les payer pour le compte. Et ils utilisent cette image pour se faire bien comprendre : ce serait comme de payer l'équipe de foot du quartier pour jouer au Stade de France! Au premier abord, on se réjouit qu'ils ne manquent pas d'air, lors de ces réunions! Et puis on mesure leur incompréhension de ce qui se joue vraiment dans le coeur des musiciens (et des sportifs amateurs) : si l'équipe de foot du quartier devait jouer au Stade de France, je doute qu'elle y prendrait un réel plaisir : le terrain est trop grand, les gars seraient perdus, et à quoi ça sert de courir après un ballon si c'est pas pour partager ça avec les gars de la buvette, qui non seulement est mal placée, mais trop chère alors les copains sont pas venus, et puis les vestiaires, là, je sais pas, j'aime bien qu'ils soient à la bonne franquette, du moment qu'ils sont chauffés, ça me suffit, qu'est-ce qu'ils croient avec leurs trucs de luxe et leurs portes à code, il s'agit juste d'avoir un coin tranquille pour changer de chaussettes... En réalité, puisqu'on m'enlève tous ces plaisirs, tous ces motifs réels de jouer, alors justement, il faut me payer pour jouer là-bas!

 

Bon, mais pourquoi n'irons nous plus là-bas? Pas pour les raisons que je viens de dire : que la salle ne soit pas très sympa ni très bien foutue, ce n'est pas un problème, quel bar n'a pas ses défauts du même genre? Mais par contre, les gens, ceux qui pensent, organisent et dirigent l'endroit, non, là, c'est pas possible.

 

Un exemple de l'irresponsabilité et du jeu de dupes de ces gens : l'année dernière, ils programment les Naast, petit groupe parisien sans intérêt, de l'avis général. La salle est remplie d'invités, le public n'existe pas, ces petits jeunes sont attendus au tournant et on ne leur passe rien, on est froid, on se moque. En première partie, la Coopé a cherché un autre groupe de petits jeunes, nouveau critère artistique intéressant, bas, nul. Ils anticipent même ce concert et tentent de jouer sur cette hype ridicule du jeunisme en faisant jouer les Sexy Meringues trois semaines avant, dans un festival "spécial femmes" : l'âge, le sexe, mais... et la musique? Passons, après tout, ça pourrait être de l'audace. Mais faire jouer les Meringues sur la grande scène pour leur deuxième concert, où je suppose qu'inévitablement, elles sont perdues, à qui ça fait plaisir? Quel est le but? Des enfants (c'est bien pour tels qu'on les prend) qu'on met sur une scène et qu'on pousse à croire que ça suffit de poser et d'y croire, et pour qui on organise tout, et à qui on ne donne que des encouragements, sans qu'ils aient le loisir de voir par eux même à maîtriser leur propre monde, et voir ce qui se passe autour, eh bien poussé à sa limite, ça donne les Naast, se battant à coups de fourchette dans des loges à Bordeaux après un concert où tout le monde s'est foutu d'eux et les a cherché, et eux s'y croyant, et ne comprenant plus rien aux règles du jeu. La Coopé répète à tout le monde qu'elle est une étape vers la professionalisation, et elle prend des groupes pour leur second concert(!), et ensuite elle les renvoie dans la cour de leur lycée, à se faire charrier, et si ces filles étaient bêtes (ce que la Coopé n'a pas cherché à vérifier, puisqu'elle les a programmé sans les entendre, d'ailleurs ce n'est pas inhabituel, on ne voit pas que la Coopé soit présente dans les petits concerts pour repérer les talents : elle a déjà tellement à faire avec la file d'attente des candidats aux premières parties...) et si du coup, elles prenaient la grosse tête et que tout le monde se détournaient d'elles? Au lieu de leur laisser faire leur chemin, animer les soirées, trouver leur place voire s'entraîner, et voir, après. Tout ça pour quoi? Tout ça pour rien, c'est juste tout ça sans réfléchir, c'est ça qui est terrifiant : personne ne réfléchit à ce qu'il fait, là-bas, à ce qu'il semble.

 

La professionalisation, juste un mot: Ah le beau combat des intermittents! Les braves gens, les poètes, les comédiens! J'avais compris, moi, qu'il s'agissait de virer de cette caisse de la sécurité sociale les techniciens que les chaînes de télé pourraient se permettre d'embaucher, et les artistes comme catherine deneuve qui manifestement, peuvent passer l'hiver sans les assedic. C'est pour ça que je suis surpris du résultat de toutes ces années de lutte : le seul résultat concret que j'ai pu percevoir est que le mois dernier, on m'a fait signer un papier comme quoi, en tant qu'amateur, je m'engageais à ne pas toucher d'argent pour le spectacle que je m'apprêtais à donner. Ouh, la belle victoire : les patrons profitent toujours du système pour faire payer leurs gens par les assedic, mais on a réussi à écarter la concurrence déloyale des amateurs. Alors ça c'est fort! ça va tout changer c'est sûr! c'est toujours les pauvres qui piquent le pognon des gens, c'est connu! Enfin, c'est une autre question, sauf qu'à la Coopé, à part une conception déplacée du prestige, on y allait pour le pognon, c'est évident. Et maintenant qu'il n'y en a plus, pourquoi on irait? Pour la qualité du matériel? On s'en passera, vu l'usage qui doit être fait de notre musique (remplir les interstices de façon à ce que chacun, dans l'assistance, puisse raconter des saloperies à son voisin sans que tout le monde entende), pas besoin d'un auditorium!...

 

C'est quoi, théoriquement le but de la Coopé? Mettre les choses bien propre au même endroit? Comme on range sa chambre? Bon, assez de mauvais esprit: réunir du bon matériel, payer les gens, arrêter de compter sur la débrouille. Qui a voulu ça? Qui paie? Nous tous, puisque c'est subventionné grassement, c'est pour ainsi dire un service public, dévolu à une association. Résultat : c'est une boîte à la pogne des tourneurs, on voit ici les mêmes groupes qu'ailleurs, chacun son tour, chacun sa date. Quelle déception ! Quel gâchis!Surtout quand d'autres bossent, à Riom, au Raymond Bar, à St Etienne, et qu'on peut bien mesurer la différence de passion et d'engagement dans le travail!

 

Et avec nous, qu'est-ce qui s'est passé? Les quatre groupes qui jouent pour les Horror Nights s'entendent bien. Nous faisons une bonne soirée au Velvet au printemps. La Coopé nous dit : venez faire ça chez nous, les conditions sont meilleures (là-dessus, je ne suis pas d'accord, plus, c'est pas mieux, mais passons). On se dit : on sort des disques à la rentrée, tous les quatre, alors peut-être que c'est l'occase et qu'on peut dire oui. Mais à cette condition : que les entrées ne soient pas à 17 euros comme d'habitude, mais à 5. Quand même, c'est quatre groupes de la butte centrale, on les voit toute l'année au coin de la rue, pour ce prix-là, alors qui voudrait payer trois fois plus cher? La différence paierait quoi, exactement, hein? Bon. Et pour combien? 300 euros par groupe, qu'on nous dit. Nous, habitués aux cachets de bistrot, on trouve ça honnête. Bien sûr, ça suffit à nous exposer aux reproches des artistes pros, qui s'imaginent qu'on leur fait de la concurrence, mais bon, décidément, je ne veux pas discuter de ça.

Le jour dit, à cinq heures du soir, à peine descendus de la voiture qui nous ramène d'un concert à Pau, on nous apprend cette bonne blague: finalement, le cachet est de 170 euros. On aurait mal compris, c'est une question de "brut" et de "net". Alors moi, je demande : qui comprend mal? Qui, travaillant dans le spectacle depuis quelques années, peut s'imaginer qu'il est décent de payer les orchestres pour un total de 700 euros? Dans une salle comble de 450 places? En gardant le bar? En ne payant pas toutes les charges, puisque les déclarations ne sont pas complètes? J'ajoute: en recevant des subventions pour une part très importante de son budget, au minimum 50% (plus peut-être, en comptant tout, on n'arrive pas trop à savoir, mais peu importe). Ceux qui pensent ça s'imaginent aussi que les musiciens vont dire : "ah, bien sûr, c'est moins que prévu, mais pour jouer chez toi, j'accepterais n'importe quoi, tu sais, et tiens, viens que je te présente ma soeur", ou bien encore "j'espère que ces 700 euros vous mettent pas trop dans la gêne, les gars? Vous pourrez toujours payer Superbus la semaine prochaine, sûr, hein? C'est vachement important pour nous et pour la musique, c'est ça qui compte, hein, pas vrai, on est tous là pour ça, pour la musique!".ça doit être ça. Apprenant la nouvelle on se demande : est-ce qu'on joue? Est-ce qu'on joue deux par deux? Est-ce qu'on joue la moitié des morceaux?  Est-ce qu'on joue les morceaux à moitié? Bon, bien sûr, on joue comme on aime faire, mais de très mauvaise humeur, et comme on n'avait personne à qui le dire, on l'a dit à tout le monde : "c'est la dernière fois qu'on nous fait ce coup-là, on ne reviendra plus, non mais qu'est-ce que c'est que ce plan à la con?"

 

Evidemment, après, ça s'est disputé franchement avec le chef, vexé, outré, et nous aussi, outrés. (Vexés, non). Il nous a bien expliqué deux choses : "d'abord, il y a les contraintes économiques, et ça, on n'y peut rien, ah lala si vous voyiez mon budget, mais avec la mondialisation qu'est ce que je peux faire d'autre que de me foutre de votre gueule, hein?" Et puis deux : "notre dispute, c'est pas sur le fond, c'est une question qu'on s'est mal expliqués, un peu comme le plan juppé en 95, voyez, c'est juste que vous ne comprenez pas comme j'ai trop raison, les enfants, et puis franchement, ça se fait pas de prendre tout le monde à témoin, venez dans mon bureau, on causera". Et nous : "non".

 

Et puis on a essayé de lui dire à peu près tout ce qui est écrit là. Mais pas dans de bonnes conditions d'écoute, ça, je veux bien reconnaître. Mais dire qu'on va discuter de ça au calme, c'est comme ceux qui disent : je peux pas trop te dire si le groupe était bon, parce que j'avais trop bu : ces disputes, c'est comme le rock, c'est toujours un peu vif... Et puis sortant de là, les jours passent, chacun essaie de comprendre ce qui s'est passé, enfin disons j'en connais qui ont essayé de comprendre : nous et le copain qui travaille là-bas et qui a été désigné volontaire pour nous proposer les contrats, et s'est retrouvé à se disputer avec ses amis faute de l'avoir fait avec son chef, mais voilà, et on a commencé à nous expliquer les lois et les règles et comme tout ça est mal foutu. On a dit "sans doute, effectivement, c'est pas clair, ça doit pas être facile pour vous", et tout, et on était sincères tout ça est très intéressant. Nous, on ne s'en cache pas, quand on organise des concerts, on en est encore au stade de la coutume : le patron garde le bar, et sinon, on met l'argent des entrées sur la table et on le partage équitablement entre les groupes : un peu plus pour celui qui vient de loin, ou bien pour celui qui va sortir un disque, et voilà, et tiens, passe moi une bière et sinon ça va? Comment s'appelle cet argent? On s'en fout un peu, pas complètement, mais un peu, on se pose la question par curiosité intellectuelle, pas vraiment par souci de se mettre dans les clous. On y est, d'ailleurs, sans aucun doute, on ne paie pas d'impôts, mais je pense pouvoir défendre l'idée qu'on participe à la solidarité sociale sous une autre forme, par exemple en se préoccupant de nourrir ou de distraire nos contemporains, au lieu de seulement commercer avec eux.Ah les grands mots! Et donc je disais : on a causé des règles et des lois qui régissent le spectacle, et comme c'est trop des contraintes, tu vois. Et donc au final, ça doit être pour ça que notre cachet a baissé de moitié au dernier moment, sans doute.

 

Bien sûr, rien de tout ça n'a de réel rapport avec la loi. Le vrai problème est celui du pouvoir. Il vaudrait mieux que je vous raconte cette petite histoire significative, ça rendrait les choses plus vivantes. Alors voilà, j'accompagnais l'autre jour une amie qui voulait un chien pour sa fille, une sorte de chien écossais, ou australien, je ne sais plus, assez sympa d'ailleurs. A la fourrière, on leur dit : justement oui, il m'en reste deux, deux soeurs... Ah mais nous n'en voulons qu'une, disent les deux filles, alors le type : bon, je vais vous les montrer, vous me direz comment faire. Il amène les deux chiennes, toutes jeunes, quelques semaines à peine, mignonnes, joueuses et tout... Et puis d'un coup, il annonce qu'il a justement un truc à faire, qu'il en a pour une demi-heure, qu'il nous laisse les chiennes et qu'il revient aussi vite qu'il peut. Bon, on reste là, la mère, l'enfant, les deux chiots et moi, à jouer... Et puis le type finit par revenir, il voit le tableau et il dit -et j'ai pas réussi à savoir à quel point il avait tout fait exprès - alors, je reprends laquelle? Bon, évidemment, elles sont parties avec les deux... Ah non, c'est pas la bonne histoire... Celle dont je voulais parler, c'est celle-ci, il y a un rapport, c'est pour ça, j'ai confondu : le soir du concert, à dix heures moins le quart, la billetterie est fermée - forcément, le concert est complet. Je reçois un message de ma petite amie, disant : je suis avec ta seur et son copain, on ne peut plus acheter de billet, comment on fait? Je sors, je discute avec le gorille, qui me dit "ah je ne peux rien faire" ça, je m'en serais douté, mon petit, que je lui dis. Alors je rentre. Dans la nuit, à quelques metres de la barrière en fer, se tenant timidement à distance des bombers des gars de la sécurité, ma copine, ma soeur, mon pote. Un peu ému par la tristesse du tableau, je rentre dans la salle et je demande au bar s'il n'y a pas un responsable. Justement oui, il était en train de se reposer une minute, assis derrière son comptoir. Il m'accompagne dehors, en me faisant la morale comme quoi faut arriver à l'heure au concert, quoi, sinon forcément. C'est vrai, ya des choses importantes, dans la vie, arriver à l'heure à un concert de rock, non mais n'importe quoi, je lui explique, à la limite c'est plutôt une faute à mes yeux, mais bon, passons, je lui conseille de jamais donner des petites leçons de ce genre, parce que souvent, il y a des raisons au retard des gens, en l'occurrence ces salauds de parents n'ont pas laissé partir la petite bande assez tôt, sous prétexte qu'ils ne se voient pas souvent, que c'était le premier anniversaire de leur petite fille, tout ça, des conneries. On arrive au bout de la file, je lui réexplique le truc : voilà, il y a ma copine, ma soeur, son copain... Lui : bon, d'accord, y en a deux qui rentrent. ??? Pareil que le gars de la fourrière : alors, qui tu vas choisir pour rester dehors? Je le regarde : qu'est-ce que t'as pas compris dans l'énoncé : ma copine, ma soeur, son copain?

 

Voilà ce que j'appelle un réflexe de pouvoir, et c'est surtout ce genre de truc qui fait qu'on déteste et qu'on méprise ces mecs qui ne se servent plus de leur cervelle, c'est pas les questions de pognon, de droit, de nombre de bières dans les loges (trois par personne, avec quoi on est sensés passer une soirée agréable de 5h du soir jusqu'à minuit... c'est pas la question de se saouler, c'est juste qu'on apprécierait d'être accueillis) ou aucune chose de ce genre, sur lesquelles on peut toujours discuter. Mais ça, ces réflexes nuls! C'est la vérité du problème qu'on a avec ces types, tous les autres détails en découlent.

 

Une denière histoire? Pile un an auparavant, les Suppos se débrouillent pour jouer avec les australiens Ils négocient un cachet honnête de trois cents euros. Mais une semaine avant la date, la coopé les appelle pour leur dire que finalement ça sera deux cents. Alors quoi, le batteur est mauvais, il ne mérite pas d'être payé? Comme personne ne peut imaginer que le budget de la coopé dépende de cent euros en plus ou en moins, on en conclut que c'est juste une petite manifestation de pouvoir, mépris du petit, jouissance du geste impérial.

 

Ah oui et puis ce phénomène politique bien connu : quand on a de l'argent à distribuer, on se fait beaucoup d'obligés et ce n'est pas de ceux qu'on emploie de temps en temps que viendra la révolte! Pour ce qui est de la Coopé, elle peut dormir tranquille, tout le milieu est suspendu à la manne économique et symbolique qu'on lui a mis entre les mains, qui pour exister, qui pour boucler son lot de cachets. Mais faudrait pas confondre ça avec une adhésion, non plus!

 

On s'énerve, on s'énerve, on est à deux doigts de dire que leur programmation est indigente, ça ne serait pas honnête de notre part, mais par contre, il est sûr qu'on est attérés à chaque fois qu'avec notre petite asso de gars passionnés qui se tiennent au courant, on leur propose mais ils nous refusent un groupe sous prétexte de textes réglementaires trop compliqués, ou bien de trop de travail (de paperasse), et que donc c'est pour ça qu'ils ne peuvent pas programmer les meilleurs groupes du genre, qu'on va pourtant voir à St Etienne ou à Riom, pas plus loin... Mais non, ici, tu comprends, c'est compliqué d'établir des contrats, c'est la loi, elle est tellement mal faite, et puis on n'a pas le temps, c'est tellement plus simple d'attendre que les tourneurs nous vendent leurs spectacles...

 

Oui, mais j'en connais des associations, elles ont toutes à se battre avec les règlements, mais il est rare qu'elles prennent ce prétexte pour renoncer à faire ce pour quoi elles se sont mises à exister : les règles, on joue avec, et si on ne les approuve pas, on les conteste. Si on ne fait pas ça, on est un gestionnaire aux petits bras, et en échange d'une tranquillité au travail, il est normal que la population se moque, méprise et, à l'occasion, vous engueule. Enfin, quoi!? Qu'on la mesure à l'idée de ce que doit être une association, ou bien à ce que c'est que le travail de programmateur, on se demande : qui bosse, là-bas? Qui se pose des questions? On les a faits rois, on leur a construit une belle salle, on leur a recruté une bonne équipe technique, on leur donne chaque année plein de pognon, on prend soin de leur proposer de participer à chaque fois qu'un nouveau projet se monte, on leur donne tout ce dont ils ont besoin, et en échange, on n'attend de leur part que de l'intelligence et du volontarisme! Alors vraiment, ces petits comportements de nababs de province, ces arnaques à la petite semaine...

 

Vous connaissez l'histoire qui finit par "le roi est nu"? Bon, c'est pareil : de les voir s'y croire à ce point, ça fait rire le monde, mais bon, tout le monde laisse passer : il faut bien quelqu'un pour occuper ces postes, ceux-là ou d'autres, peut être que c'est pas important. Sauf quand arrive ce moment où on se demande pour qui ils se prennent, ces mecs, à se foutre de nous de cette façon? Ils s'y croient, vraiment c'est le mot. Eh bien virons-les et mettons n'importe qui d'autre à la place, et peut-être que des choses vont changer en pire, peut-être que le budget n'aura pas la même structure, mais ça marchera, parce que tout le monde le veut. Et eux, ça leur fera les pieds, un peu. Ah! on avait dit pas les affaires! ça devient personnel! Ben oui, mais chez ces petits notables, dans cette petite ville, c'est comme ça que ça marche, faut croire : la preuve est que nous sommes personnellement tricards là-bas, à ce qu'il paraît. On rêve! On nous fait savoir qu'on nous demande des excuses! Bon, disons que c'est ce qu'on est en train de faire... Alors qu'on se fasse bien comprendre : oui, tout ça est très personnel, parce que le pouvoir est exercé par des personnes qui se vantent de l'incarner, alors c'est bien d'elles qu'on se moque. Ils décident seuls, ils jouissent de pouvoir se livrer à de mesquins  arbitrages qui sont autant de petites humiliations de ceux qu'ils considèrent comme des petits et quand on les connaît, vite! vite! on est dans la connivence... Alors c'est pour ça que les disputes sont forcéments personnelles. Mais ce n'est pas personnel parce que mettre d'autres gens à la place ne changerait pas les choses, ni la fascination imbécile des musiciens pour cette salle, ni son statut d'outil bien foutu, fait exprès et pratique d'un pan de la politique culturelle de la Ville, ni la conjugaison du musicien au futur, cette façon routinisée de se dire que le petit existera surtout demain, quand il sera grand et professionnel et qu'en attendant, il est là surtout pour recueillir l'aide et les conseils des adultes,et puis ça ne changera pas les gorilles à l'entrée, les affiches partout ni les prix. Mais tant pis, personne ne demande qu'on détruise la Coopé, mais qu'elle fasse son boulot!

 

Son boulot, oui, ce qui n'a rien à voir avec les fantasmes de puissance des gens qui tournent autour ou dedans, et malheureusement, on les entend partout tout le temps, et on s'en fatigue et on somnole un peu parce que ces discours sont emmerdants et puis un jour, on se réveille en sursaut et on dit carrément : on s'en fout d'être des stars, on s'en fout d'en faire notre métier, on s'en fout de maîtriser le sujet et toute la technologie ; on joue là où les gens ont besoin que quelqu'un joue, pas dans les salles où, au contraire, on doit convoquer le public ; on ne joue pas parce qu'on a quelque chose d'extraordinaire à dire, mais parce qu'il faut que quelqu'un s'y colle, et aussi parce que c'est agréable ; c'est agréable aussi de boire, de fumer, de se mettre hors de soi tant pis si le prix à payer est de se prendre une baffe - généralement ça n'arrive pas. On déteste ces discours qui disent : il faut du temps, il faut du travail, il faut du capital, il faut de la maîtrise, il y a des grands et il y a des petits. Peut-être qu'il y a tout ça, sans doute, il y a tout ça, mais ce qui ne va pas, c'est que ces discours servent surtout à dire : vous avez besoin de nous. ça c'est faux.

 

Colas Grollemund,

las vegas dead brides

 

 

 

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F
<br /> C'est drôle, j'ai ressentie un peu la même chose en tant que "cliente". L'été dernier je suis allée pour la première fois à la Coopé pour une soirée "5 à 7"... bon c'est vrai aussi que je ne suis<br /> pas une habituée des "soirées" 5 à 7 (17h-19h)et peut-être qu'elles sont partout pareilles. ET ben c'est vrai la bière est dégueu, chère et la musique.. bon c'est pas très grave parce que ce qui<br /> compte pour le "client".. c'est l'ambiance n'est-ce pas? Ben c'était pas terrible. Ambiance soirée de l'ambassadeur..Bref, c'est sûr c'est la maison du biseness avec plein de gens biens. En tout<br /> cas je trouve ton article très intéressant non pas parce qu'il traite (sans surprise) de la coopé mais parce qu'il me fait réfléchir ce sur quoi je travaille. La façon dont on fait la promotion des<br /> Jeux et des artistes qui y viennent. C'est pas simple, d'autant quand on n'a pas pouvoir de décision. La question n'est même pas celle du cachet..parce que nous c'est clair c'est pas possible. Mais<br /> celle de qu'est-ce qu'on peut leur donner réellement? Promettre un tremplin? n'est-ce pas un peu exagéré pour un événement mal connu? promettre une expérience (une aventure plutôt). Je crois que<br /> cela se situe plutôt à ce niveau. Mais je ne suis pas sûr que cela soit suffisant pour tout le monde. Bref, merci pour ton article et la remise en question..<br /> <br /> <br />
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G
<br /> J'y réponds bien tard, mais je comprends très bien ton petit commentaire. Je n'ai pas d'autre réponse que la tienne, et quant à ce qui constitue une "expérience", il faudra une longue discussion<br /> pour ouvrir cette boîte-là. Des questions similaires se posent dans pas mal de domaines qui m'occupent, comme le volontariat international... Bref. La grande avance que tu as sur les discours qu'on<br /> entend très souvent dans le milieu artistique, c'est que tu écartes sans illusions les deux premières options, quand au contraire, on promet souvent aux artistes que si, certes, leurs cachets sont<br /> faibles, la fortune viendra bien un jour, ou qu'il faut dire oui à n'importe quel tremplin pour espérer des effets de notoriété. Toujours: plus tard, demain, quand ils seront grands, et surtout<br /> s'ils sont sages et assidus. Vivre une expérience, au moins, c'est du présent. Et pourquoi tout ce qui n'attend pas, tout ce qui profite maintenant est-il nié, négligé? Et je ne pense pas seulement<br /> à des profiteurs, mais effectivement à ta question : qu'est-ce qui se joue dans ces évènements?<br /> <br /> <br />
G
Bon, j'ai supprimé un commentaire à la demande de l'auteur MAIS en contrepartie de la promesse de m'écrire UN TEXTE ENTIER sur le sujet qui n'était qu'effleuré...! ça vaut pour tout le monde : les commentaires, j'y réponds mais pas vite, et si je dois les enlever, c'est pour en avoir une version plus développée! D'ac?
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