Sur le Transfo

Publié le par gromulo

Le rapport de la cour des comptes concernant le Transfo, l’agence culturelle régionale, est plutôt intéressant. Pour tout dire, c’est même une source d’information unique, qui raconte tout bien depuis le début et en détails. Pas de scandale, je vous le dis tout de suite, pas d’incurie. Le ton est sévère mais il faut se méfier de l’examen minutieux effectué par une administration sans complaisance sur une association somme toute récente (2006).

Mais quand même, il y a de quoi réfléchir.

Trans-faux-Nez

Globalement, ce n’est pas une association, c’est une agence. Le directeur, toujours en place, a été désigné directement et sans appel d’offre ni profil de poste, par les représentants de l’Etat et de la Région. Il a plus de pouvoir et plus de stabilité que le Président (d’abord Laure Adler), démissionaire en 2008. Les administrateurs démissionnent, mais pas le directeur ! Alors que le conflit porte précisément sur ses options, et notamment sur l’absence de comité scientifique et sur l’indépendance par rapport au pouvoir politique ! Comme si le premier ministre faisait démissionner le président, en somme, celui-ci se plaignant qu’on n’ait pas réuni le parlement… C’est plutôt proche du fonctionnement de l’administration, à l’ultime différence que même elle est responsable devant des élus, en dernière instance. De qui répond le directeur le Transfo ?

Et la Région l’utilise comme son instrument, son bras armé, sans appel d’offre, par exemple. Mais n’exerce pas pour autant le contrôle habituel d’une administration sur ses services. Que des avantages, finalement, le côté libre et sexy d’une association mais en pratique inféodée aux pouvoirs locaux ; et puis recevant commandes et subventions publiques mais sans le contrôle tâtillon des « services ». Un truc « artiste », finalement. Libre, confus, bouffon.

« Pour discuter de notre politique, vous pouvez laisser un message sur notre site »

Au début de l’histoire, on retrouve la volonté de la Région de muscler sa politique culturelle, pour polir un peu l’image d’une Région enclavée et associée à l’industrie déclinante et au désert rural (voir l’article Clermont les bouffons). Donc, elle a l’idée de regrouper les associations oeuvrant dans les divers secteurs culturels (musique, lecture, danse, théâtre) dans un « guichet unique de la culture », qui puisse mener des études, servir à guider la politique mais celle-ci étant en réalité dejà définie, surtout à accélérer la marche de la professionalisation du secteur, au moyen de la formation et de l’accompagnement.

D’abord, donc, quelques mots sur cette option « guichet unique ». Le guichet unique, c’est quoi ? Parfois sous couvert d’économies, plus couramment avec l’espoir d’un meilleur contrôle, on réunit des acteurs dans une seule agence.

Ce n’est pas toujours une économie, la preuve ici avec le fait que les statuts de chacun ont été conservés, la preuve surtout avec le Pôle Emploi, le cas le plus célèbre (et le pire). En principe c’est plutôt bien, si on arrive à absorber le choc financier et social.  

Quant à l’efficacité… ça dépend de ce qu’on entend. Evidemment, les ordres de l’administration passent plus vite. Mais en revanche, la coexistence de plusieurs acteurs indépendants permet souvent un équilibre des pouvoirs, et la possibilité de faire exister plusieurs idées et  analyses. Les guichets uniques n’accumulent pas les ressources des acteurs ainsi réunis, en fait ils prennent plutôt le « plus petit commun multiple » et appauvrissent chacun. On ne voit qu’une seule tête, mais elle est moins remplie que lorsqu’il y en avait cinq. Et puis les conflits sont réglés autrement : en interne, selon une logique possiblement disciplinaire (s’il y a bien hiérarchie), alors que la coexistence de plusieurs acteurs autonomes oblige à trouver des compromis, des accords, et pas une synthèse plus ou moins sincère. (voir la contribution de Ph.Corcuff dans ce livre [1]). Tout le monde s’était étonné, et affligé même, du départ de chaque association de ses locaux historiques et centraux, pour aller se perdre dans la zone d’activité d’Aubière. Les dirigeants du Transfo ont tout simplement remplacé cette ancienne proximité par un superbe site internet.

Idéologie non discutée mettant en œuvre des recettes de développement : ça ressemble au FMI, finalement 

Bon, tout n’est pas mauvais mais c’est quoi le problème ? C’est justement à croiser avec cette petite interview de 3mn, dans laquelle il est donné très clairement l’option « professionalisation ». Le problème est que celle-ci n’est pas étayée publiquement par des études ou rien de similaire. C’est un intuition proclamée.

Or justement : « Les rapports produits superposent des données parcellaires, ce qui ne produit pas forcément de la connaissance » Ouch ! Est-ce à dire que le Transfo navigue à vue ? Ou bien sur la base de missions définies dès le départ sans analyse (genre : « il faut professionaliser le secteur ») ? Ou bien sur des intuitions… ? Leurs grands débats sont rares et assez peu productifs, dit encore le rapport[2]. Pire, la DRAC estime que celui sur les musiques actuelles en Auvergne, fer de lance de la visibilité du Transfo, délivre « un constat exagéré » ! Quoi, nous ne sommes pas champions du monde du rock n roll ? C’était juste une pub ?

Comme cet autre instrument de la politique locale, la Coopérative de Mai, ce sont des instances complètement fermées à l’extérieur et notamment aux idées (puisque les équipes ne se renouvellent apparemment pas) et aux autres acteurs du « territoire » sur lequel ils opèrent. On pourrait vouloir que, comme l’annoncent leurs statuts, ils se trouvent  en soutien de ce qui existe mais on a en fait des outils qui font directement les choses, sur un mode démocratique criticable : fonctionalité plutôt que forum, autonomie vis-à-vis de l’opinion publique mais pas pour autant de contrôle administratif. La vertu de ces organismes repose beaucoup sur celle des personnes qui les composent. Avertis des effets du pouvoir sur les gens, on a motif à s’inquiéter (voir sur ce blog la dispute).

C’est un circuit fermé, en plus, puisque les mêmes délégués à l’application d’une politique culturelle dont la pertinence n’a jamais été discutée ni prouvée, conseillent en retour les élus ! Il ya peu de chance qu’ils se surprennent les uns les autres… !

Et bien sûr, ici et là, on doute de la pertinence des politiques menées. Ici particulièrement, je dois dire.

 

Conclusion du rapport : « En l’absence de définition d’objectifs, il est difficile d’évaluer leurs résultats. Il serait souhaitable, à cet égard, que le conseil d’administration du TRANSFO définisse ses politiques, précise ses objectifs et les décline en indicateurs d’activité, de résultats et d’impact socio-économiques »

 

On résume : invisible, ne soumettant pas sa ligne politique à discussion publique pour cause d’une organisation opaque, mais ayant tout de même asséché le milieu associatif culturel… on espère que les petits gars du Transfo sont géniaux et que leurs options sont bonnes pour not’développement !!! Parce que la conversation, c’est pas leur truc.  



[1] Par exemple : " Levinas suggère qu'une société meilleure ne serait pas une société qui abolirait définitivement les contradictions dans une sorte d'harmonie mais qui au contraire assumerait certaines contradictions vives comme celle existant entre le commune et le singulier" p.64. Allez, c'est pas si abrupt, c'est parce que j'ai pris en plein milieu du texte... 
[2] Le bilan des tables-rondes - qui marquaient la  trame de la manifestation - apparaît en demi-teinte :  « [e]xcepté quelques interventions (…), ce qui est ressortit  (…)  était (…)  plus ou moins connu des acteurs du secteur des musiques actuelles », à l’exception de quelques idées (structuration en réseau des studios de  répétition, étude de la question des fonds de garantie, pépinières d’entreprises et groupements d’employeurs dans le domaine culturel…) dont le suivi n’est pas acquis » est-il noté à propos de rencontres sur l’Europe (la pauvre, toujours si maltraitée…).

 

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V
<br /> allez, allez : comme à Tunis! On va écrire sur un carton "dégage Transfo !" et on va tou(te)s aller devant le Transfo !<br /> <br /> <br />
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J
<br /> A défaut d'être actifs et de fournir un vrai travail, le Transfo salarie un paquet de monde, les gens consensuels diront qu'ils "font bosser des gars du coin" : les bilans sont chatoyants, près<br /> d'1,2M € de subventions pour 800.000€ de salaires et de charges. C'est ça une vraie politique culturelle de gauche : le consensus mou.<br /> <br /> Le plus fun restant :<br /> <br /> "Le rapport très détaillé sur la gestion du Transfo, est accessible à partir du site Internet de la Chambre : www.ccomptes.fr. Il affirme entre autre la faible qualité des études maison " qui<br /> collationnent des données sans nécessairement émettre de diagnostic " ; ou encore la rémunération annuelle brute cumulée des trois salariés les mieux rémunérés en 2007, qui s'est élevée à 129.795<br /> euros (l'un des trois salariés n'ayant travaillé que 1.664 heures, au cours de l'année)…" - Info<br /> <br /> <br />
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G
<br /> <br /> Mon petit Jésus,<br /> <br /> <br /> Ce ne sont pas les salaires qui me choquent le plus, ils sont élevés mais pas scandaleusement; c'est plutôt la fermeture de l'institution sur son environnement. Le fait d'avoir embauché tous les<br /> associatifs de l'époque, d'avoir asséché tout le milieu et de s'être, juste après, enfermés dans une banlieue lointaine. ça me fait penser tout à la fois au château de kafka et à<br /> l'administration coloniale...<br /> <br /> <br /> <br />